Les balades de farfa II

samedi 5 mai 2012

Traversée sous BMS

Deauville Lymington   

   Arrivée de la veille au soir, je me retrouve le 5 mai au matin à faire des courses, on appelle cela "avitailler" pour un bateau; deux voyages successifs au supermarché du coin sont nécessaires pour les victuailles solides et liquides; le départ est prévu en début d'après-midi.
   Le programme ? Mais bien sur "The Channel" œuf corse ! Je n’avais pas pu durant toute l’année 2011, été compris, pu trouver une fenêtre pour aller boire une « pint » de l’autre coté; et cela commençait bigrement à me manquer.
 
   La météo était loin d'être parfaite pour ce départ direct avec navigation de nuit vers Cowes ; quand je dit « pas parfaite », il y avait un "BMS en cours", vous savez ces "Bulletins Météorologique Spéciaux" qui sont émis dés des vents forts sont probables et qui ont fait la réputation du matelot. Bon on dira qu'une petite tempête devait avoir lieu durant les 24 heures à venir. C’était du Nordet, la traversée de la Manche allait se faire avec un cap au 320°; cette allure de travers garantissant des conditions sportives et rapides; j'avais déja réalisé une traversée record avec la moyenne sidérante de 6,4 noeuds avec des conditions comparables; le bateau pouvait le faire sans problème avec les travaux hivernaux réalisés.
   Après un bon déjeuner à base de spaghetti bolognaise chez Bertalla, suivi d’un plein de mes bidons d’appoint en gasoil, et d'un sas à 13 heure 15; farfa était en mer, le vent était, comme prévu, de Nord Est, voir même Est Nord Est dans les 10 nœuds avec une mer est calme et le temps assez  nuageux ; je navigue GV (grand voile) et GE (génois) à 100%; la VHF, sur le 16, confirme le BMS numéro 45 : « grand frais NE de 6 à 7, mer agitée à très agitée » ; en avant farfa pour une traversée tonique de la Manche. 
   
   Vers les 15 heures, et cela au fur à mesure que je me dégage de l’abri que constitue le cap de la Hève en cas de Nordet, le vent monte à 13-15 nœuds, je prends un riz GV+GE ; la mer devient de plus en plus agitée, je remarque bien cette grande houle de NE qui apparaît ; mais il n’y a pas ou très peu d’embruns, tout est sous contrôle.
  Deux heures après, la situation évolue ou plutôt se détériore comme prévue, le vent pousse vers les 18-20 nœuds avec une mer devenant agitée ; entre le début de cette navigation nouvelle et une certaine crainte qui accompagne toute navigation sous BMS, et cela même si aller à la rencontre d’une tempête procure la montée d’adrénaline que l’on était venu chercher, le matelot n’est plus au mieux de sa forme; et il commence à ressentir les effets d’un vrai  mal de mer ; farfa est sous deux riz GV+GE ; et je qualifie la mer de très agitée.
  Un peu tard, le bilan est devenu très contrasté ; d’un coté farfa va vite et je comptabilise 33 nautiques en 5 heures, soit une moyenne de 6.6 nœuds, mais de l’autre je suis passé à trois riz GV+GE, dans un vent de 25-30 nœuds établis, et le matelot a un mal de mer qui empire, et il a déjà rendu deux fois son comprimé de Nautamine® ; le troisième essai sera le bon.

   Et puis la mer est passé de très agitée à forte; les connaisseurs apprécieront. De plus, le courant de marée montante est là, avec un coefficient de plus de 110, sa vitesse est de plus de 2 nœuds, contre le vent; les conditions sont réunis pour lever fortement les vagues que génère le Nordet ; le bateau est bien calé sur son bouchain, il encaisse sans broncher les coups de mer, le fidèle roger maintient le cap.
   Vers les 20 heures, la situation s’est encore aggravé, le vent est maintenant établi à 30 nœuds et l’anémomètre mesurera jusqu’à 40.4 nœuds durant les rafales; le génois a été réduit au strict minimum, il est plus petit que ne l’est mon tourmentin qui déjà ne fait que 6 m² ; quand à la grand voile, avec ses trois riz (ce qui fait que la têtière est sous les barres de flèche, elle n’affiche que 4 à 5 m². C’est avec une voilure qui doit ne pas dépasser les 10 m² que farfa taille sa route dans la nuit qui tombe. Heureusement, ce réglage permet à roger de travailler à l’aise, sans problème et sans blocage ; la vitesse de farfa est un peu descendu, mais toujours au dessus de 5 nœuds.
   Pendant ce temps, l’équipage commence à vraiment faire peine à voir ….. Affalé sur la couchette sous le vent, emmitouflé dans son ciré avec le gilet toujours capelé, sans possibilité de se nourrir, car le mer relativement tenace n’aurait pas permis l’ingestion d’une quelconque nourriture, juste quelques gorgées d'eau de temps en temps.

   Durant cette soirée, et pendant que les paquets de mer continuaient leurs assauts sur le tribord de farfa, tout en écoutant le glouglou dérangeant du cockpit qui ne se vide pas assez vite, j’ai vraiment pensé à jeter l’éponge et pris conscience que j’atteignais mes limites à la fois physiques et psychologiques.
   Je jetais un coup d’œil vers Cherbourg, pouvais-je changer mon cap et trouver le réconfort d’un port protégé des vagues ? Mais malgré mon état, je me rendis rapidement compte que cette option n’était pas valable, car cela faisait quasiment plus de route à faire, d’heures à subir, que l’île de Wight; et avec l'enjeu de retrouver un réglage adapté pour farfa au grand largue et tout en envisageant une arrivée de nuit.
   Bref, il fallait boire la coupe jusqu’à la lie, continuer, faire confiance à roger, dormir par tranche de 45 minutes, se lever en allant vérifier que tout (sauf ma personne) était « under control »; et puis se remettre dans ce duvet qui devenait humide tout en pensant très fort que le vent devait, en tout début de matinée, commençait à faiblir et attendre la protection de la terre pour les vagues, c'est-à-dire la partie ouest de l’ile de Wight.

   Après coup, les jours suivants, je me suis bien confirmé que Thierry, surnommé « mister BMS » pour certains, avait atteint ce que l’on appelle ses limites ; c'est-à-dire avait touché du doigt ce qu’il était capable de faire avec un voilier, avec son bateau. Un peu comme un alpiniste qui à 300 mètres de l’Everest pense très fort qu'il n'en peut plus, envisage de renoncer voir de revenir au camp de base.
   Mais en voile, il n'y a pas de " camp de base », ou alors ce camp de repos est la couchette, pour peu qu’il y ait des équipiers qui continuent à prendre soin du bateau; pratiquant le solo (singlehanded) mon seul équipier était roger, le pilote automatique.

   Et la nuit finit par passer (je suis toujours là pour vous la raconter), les rails furent franchis, heureusement et par chance sans aucune manœuvre, le mal de mer diminua, et le matelot se retrouva, dans une aube naissante, en face de son objectif, le phare de Sainte Catherine situé sur la pointe Sud de l’île de Wight.
   Un petit point sur ce phare; dans de nombreux récits datant de la marine à voile, il marquait le coté Nord d’un entonnoir (le coté Sud étant le Phare des Casquets à coté de la pointe Nord Ouest du Cotentin) qui canalisait les voiliers, les grands trois ou quatre mats, quand ils revenaient de leurs voyages commerciaux de l’Asie et de la Chine. Pour ceux qui allaient vers Londres, reconnaître le phare de Sainte Catherine, c'est-à-dire, en langage marin, vérifier grâce à la lumière de ses éclats que ce phare était dans le Nord, était déjà un avant gout de l’arrivée, de la fin du voyage, et des retrouvailles avec une famille aimée.
   En ce matin venteux, gris et mélancolique, la vue de ce phare sur ma droite signifiait aussi la fin de ma souffrance. Hélas l'approche qui va suivre allait tenir du médiocre voir du mal fait.
   En effet, ayant négligé la navigation durant cette terrible nuit, je me suis présenté dans l’ouest de ce phare, et après avoir remonté le long de la côte, je me trouvais à avoir le courant bientôt défavorable dans la passe des Needles. Si j’avais un obliqué ma route durant la deuxième partie de la nuit de 20 ou 30° vers l’est, je serais à ce même moment de l’autre coté de l’île de Wight, vers la tour Nab, près à profiter du courant de marée descendante, du courant de jusant, qui m’emporterait vers l’Ouest, vers Cowes, comme un pet sur une toile cirée !
  Mais dans ma position actuelle allait, j'allais être, d’ici une à deux heures, dans cette situation où, ayant passé du mauvais coté de Wight, par l'Ouest, et ayant à naviguer vers l’Est, j’allais avoir à lutter contre, à refouler, ce même courant.
   Ralenti par ce courant dès le niveau du phare des Needles, la risée Nanni me permit d'entrer dans le Solent au milieu d’un clapot typique d’une zone avec du courant ; en milieu de matinée, je me suis retrouvé dans ce Solent si désiré, à tirer des bords, le vent étant toujours orienté Nord Est, dans un bon vent de 15 18 nœuds ; mais avec 1 à 1.5 nœuds de courant contraire, je voyais bien qu’une arrivée à Cowes ne pouvait avoir lieu avant de trop nombreuses  heures.

   En consultant la carte, l’étape de Lymington paraissait un bonne alternative pour assurer un bon repos pour le matelot ; cap donc sur ce port, au moteur. J’avais déjà raté les pontons visiteurs de la marina ; et bien bis repetitas, je me retrouvais une deuxième fois tout au fond du port, au ponton municipal ; il faut imaginer un ponton en centre ville avec TROIS places, sans électricité mais avec de l’eau ; arrivé vers 12h30, et comme ce satané mal de mer était fini, bien fini, je suis allé me restaurer au pub qui donne juste sur le quai.
   L’arrivée au ponton municipal de Lymington est quand même assez spéciale, il faut en effet slalomer entre des dizaines de bateaux qui sont attachés devant derrière sur des lignes de pieux ; chacun allant à son bateau en annexe.


farfa bien seul au ponton de Lymington

  Le repas au Ship Inn, situé juste sur le quai, fut suivi d’une bonne sieste; en milieu d’après-midi  mes voisins de ponton partaient, pour eux le weekend était fini ; et le soir quelques spaghettis furent le prélude d’un grand dodo réparateur, après cette héroïque traversée.

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