Les balades de farfa II

mardi 7 août 2012

Sur la plage de Deauville ...

Que dire quand on a fait une grosse (mais finalement pas grave) bêtise ?


     Certes je pourrais philosopher sur le thème : "Naviguer en solo 311 heures c'est bien, mais il faut ne pas se relâcher à la 312ème heure." Cela serait un début d'explication à l'aventure qui m'arriva, en ce milieu de nuit, alors que mon port d'attache se rapprochait et qu'un relâchement dans la conduite de farfa s'était sans doute installé. Revenons aux épisodes précédents; si je reprends mon journal de bord je note : "23h15: RAS, ETA (estimated time arrival pour ceux qui ne maîtrise pas la langue de Shakespeare; en français: heure estimée d 'arrivée) 1 heure;  cette ETA est au Pylône Nord du chenal du port de Deauville; farfa avance à 5 noeuds sur un mer plate". Sans aucun doute une fin de navigation parfaite, fraise sur le gâteau d'une très belle croisière en solo aux Scillys.
    Et le matelot-skipper, après avoir écrit ces quelques notes, et tandis que farfa continuait sa route tribord amures, pensât qu'il pouvait s'assoupir quelques minutes sur la couchette tribord; farfa n'était que très peu gîté, cette couchette était parfaite pour un léger repos.

     Hélas ! Trois fois hélas !!! Cette assoupissement qui se voulait momentané, prévu pour durer entre 15 et 30 minutes, s'est transformé, sans doute à cause de ce maudit relâchement que procure la sensation de l'arrivée et de la promesse de ces visions de beaux souvenirs après une croisière agréable, en profond mais alors très profond sommeil. Hélas ! Trois fois hélas !!! Que se produit-il quand un voilier, guidé uniquement par un pilote automatique se repérant sur le cap magnétique, prolonge sa route vers son port d'attache, ne sachant pas que ce port est au-delà d'une plage, et que cette même plage est à la fois longue mais relève doucement son niveau comme celle de la grande plage de Deauville ?
     Et bien le voilier, mon brave farfa, continue sa route en ligne droite; et, sans pouvoir savoir que devant le port il y a cette plage, il va tout doucement, sans aucune brutalité car la mer était belle, se mettre au plein (il est certain que ce mot est bizarre et inadapté, mais c'est celui qui est employé dans le langage maritime quand un bateau se retrouve à terre involontairement) sur le sable de cette magnifique et très connue plage. Vers 1 heure du matin, endormi dans un sommeil que seule la très proche arrivée pouvait expliquer, j'ai tout d'un coup la sensation, dans l'état quasi comateux que quelqu'un que l'on aurait réveiller brutalement, que quelque chose ne va pas dans le rythme habituel de farfa quand il navigue; je me lève (écrasant au passage ma paire de lunettes qui était tombé par terre), et regarde par l'arrière ce qui se passe; et je ne comprends pas vraiment ce que je vois.
     Car quelle est la vision qui s'offre à moi ? Du noir d'abord, car il fait nuit; mais derrière le bateau cela a l'air  plus noir que noir, et puis ce bateau est tout secoué; serais-ce un orage subit ? Et un très fort clapot généré par une brusque montée du vent ?
     Sortant de la cabine de farfa et regardant plus précisément l’extérieur, une sensation  rapidement de plus en plus très désagréable commença à m'envahir ..... et si .............. Et si cette clarté noire devant moi n'était pas la mer  mais la terre......... Et si ce clapot dure et inhabituelle était .... 
     
     Nom de Dieu !!! Pute borgne !!!!! Et si ce mouvement était celui de la quille de mon brave et fidèle destrier raclant un banc de sable inconnue, non cartographié par le SHOM, non cela est impossible. Mais alors, et si j'étais malencontreusement et ignobablement échoué, au plein, sur la terre ferme; et si j'étais dans la situation qui est, depuis la nuit des temps, la terreur de tous ceux qui vont sur la mer ?
     Franchement, les mots de Conrad me sont revenu à l'esprit; "Un capitaine qui échoue son bateau a le droit pendant cinq minutes à penser à des idées de suicide".
     Au bout d'un nombre très brefs de secondes, et après un effort intellectuel tout aussi intense que la situation était risible, honteuse tout en restant non dangereuse du point de vue de la sécurité (car je compris aussi tout cela se passait à quelques mètres de la ville et qu'il me suffisait de mouiller mon short pendant 3 secondes pour me retrouver sur la terre ferme) je me mis à envisager ce qu'il fallait faire, et d'abord affaler et ranger les voiles qui claquaient au vent.
     Une fois cela fait en quelques minutes grâce à mes deux enrouleurs, génois et grand-voile; j'eus l'heureuse surprise que voir mon farfa se mettre spontanément face aux  vagues, face à la mer; et de constater que la mer, le clapot était somme toute assez réduit, de 15 à 20 centimètres et que le bateau, selon l'expression très proche de la réalité et des sensations du matelot, ne "souffrait" pas.
     Et je pris la VHF, et lançais (selon l'expression utilisée) un Pan Pan Pan sur le 16; que cela veut-il dire pour les non-inities ? Et bien le canal 16 est celui réservé à la sécurité en mer; et on peut y lancer trois types de message: Mayday veut dire risque sérieux pour une personne humaine; Pan problème technique important et Sécurité pour informer les autres. Le fait d'envoyer un Pan voulait bien dire aux services de secours que je (ma personne physique) n'étais pas en danger, mais que le bateau était dans une situation on ne plus désagréable.
     Dans les 5 secondes qui ont suivi, je reçus une réponse du Cross Jobourg (l'organisme qui surveille la mer de Dunkerque à Brest) un "vrai" professionnel qui m'a rapidement demandé de changer de fréquence (sur le 68 il me semble) qui s'est assuré que j'allais vraiment bien, que j'avais mon gilet de sauvetage (et oui je le porte à 100% en solo avec en plus une balise Sarsat-Corpas attaché à celui-ci); il ma' aussi demander de confirmer que mon appel était bien pour le bateau (pour mon farfa) ce qui voulait dire , en langage codé, que j'étais d'accord pour payer le renflouement, ou plutôt de dessouchement de mon voilier; j'ai été évidemment d 'accord, non seulement pour sortir mon voilier de cette position difficile, mais aussi pour ne pas subir la suprême humiliation d’être le matin suivant, d'ici quelques heures, la vue et la risée de quelques centaines de milliers de personnes sur la plage de Deauville.
     Je garde aussi le souvenir précis de m’être trompé sur ma position, et d 'avoir déclaré être devant la plage de Trouville, confusion excusable d'un pi’taine en situation de stress; mais la confirmation de ma position avec les coordonnées GPS fut sans aucun équivoque, j'étais bien sur la plage de Deauville, juste en face du mur de pierre qui délimite le début du port de la marina de Deauville; que se serait-il passé si les coefficients avaient été plus haut, et si la haute mer avait pu frôlé voir être sur ce mur de pierre  de granit ? On peut facilement imaginer un bateau en plastique détruit sur ces rochers, et le matelot courant se réfugier sur la terre ferme en sautant sur ceux-ci.
     Maintenant il me restait à attendre; et comme celle-ci est mauvaise conseillère, j'ai allumé mon moteur en imaginant que celui-ci pouvait lutter contre les vagues et aurait assez de puissance pour faire avancer une quille raclant sur du sable; je ne suis arriver qu'à déclenché l'alarme température, la prise d'eau de refroidissement se trouvait à l'air libre.
     Attendre j'ai donc continué, et bientôt est apparu la vedette SNSM de la base, avec ses gyrophares allumés; elle m'a rapidement vu mais s'il était clair qu'elle avait la puissance pour sortir farfa de ce mauvais pas, il était aussi sur qu'elle ne pouvait pas s'approcher suffisamment de moi pour me passer le câble, ce bout salvateur et l'accrocher sur mon farfa.
     Ils durent mettre leur zodiac à l'eau, et celui-ci vint me rejoindre en portant ce fameux câble; deux personnes étaient à bord, l'un d'entre eux monta sur farfa en tenant ce bout et l'autre ramena le zodiac vers la vedette.
     Prenant cette amarre  de 20 mm, je l'amenais vers l'avant du bateau pour le fixer sur un taquet; je commis alors une petite erreur en mettant ce bout sur le taquet tribord sans faire un brelage avec le taquet bâbord; on verra le résultat plus tard. Une fois ce bout mis, j'ai recontacté la vedette par VHF pour lui dire que tout était OK de mon coté et que la balle était dans son camp, dans la puissance de ces moteurs diesels.
     Et alors en seulement quelques minuscules secondes, dès que la vedette fut dans la bonne position, situation, avec le bon angle; le capitaine de la vedette mis les gaz et farfa fut tirer d'affaire, le sondeur commençant à relever des valeurs positives; farfa était à flot !!! Hourra pour la SNSM !!!
    A flot je mis le moteur en route, le laissant sur neutre, et j'avançais pour libérer le bout, en coordination avec la vedette qui se trouvait 30 mètres devant moi; et, comme souvenir de la puissance qu'il avait fallu déployé sur ce câble en "plastique", les clés que j'avais fait sur le taquet se sont révélés si serrés par la tension que j'ai du aller cherché une pince pour les défaire; je constatais aussi que la tension du bout sur un seul taquet avait fait ployer le balcon avant, il était tordu de 20 à 30° sur la droite, ce même balcon que j'avais fait refaire l'hiver dernier; finalement cela sera le seul souvenir matérielle de mon aventure.


Le tracé sur le GPS de farfa en plein dans l'estran 

    Une fois à flot, tout n'était pas fini, et comme on dit dans les livres, je peut vous garantir que l'on n'est pas à 100% de ses capacités après un choc de ce type, et je me sentais si peu sur de moi que j'ai voulu donner la barre au gars de la SNSM à bord !!!
     Je me suis ressaisi, et suivant la vedette, je rentrais dans la marina de Deauville; la vedette s'accosta au ponton visiteur, je me mis à couple, et les papiers de mon farfa furent donnés à un matelot qui me connaissait car il travaille sur le chantier de la marina; j'ai eu aussi l'impression que l'équipage de la vedette SNSM, en faisant son bilan à chaud, conclut qu'il manquait d'entrainement dans les actions de nuit.
   
    Le lendemain matin, j'allais au chantier pour payé mon dû (en effet le sauvetage des personnes est gratuit, mais le sauvetage des bateaux est payant), et je fus quand même surpris de deux choses: 


  1. la modicité de la somme (350 €) qu'il m'a été demandé de régler pour le déplacement d'une douzaine de personnes en pleine nuit.
  2. Le fait de découvrir que les assurances nautiques remboursent intégralement les interventions de la SNSM; cela est logique au deuxième degré, vaut mieux rembourser 350 € d'interventions que 3000 € de réparations; mais cela fait quand même drôle de se voir rembourser  le coût venant d'une erreur !!!

En résumé, l'entrefilet paru
dans Ouest-France le lendemain.



1 commentaire:

SNSM a dit…

Merci de votre message.
Les sauveteurs de la TOUQUES-TROUVILLE vous souhaitent une bonne et heureuse année 2013;
Bon vent....